Opinion | Pas de transition écologique sans révolution des mobilités
La réconciliation entre fin du monde et fin du mois ne peut avoir lieu, explique Thierry Mallet, sans une transformation de nos mobilités afin que la nécessaire transition écologique ne se fasse pas au détriment de la liberté et du pouvoir d'achat des citoyens.
Par Thierry Mallet (PDG de Transdev)
Comme si le choc des deux années écoulées ne suffisait pas, voilà que le spectre de 1973 revient flotter sur l'Europe . Avec le prolongement de la guerre en Ukraine , la crise énergétique n'est plus une hypothèse mais une réalité : les prix de l'essence, du gaz et de l'électricité flambent et menacent tant le secteur des transports que nos concitoyens, contraints de prendre la voiture pour se déplacer.
Si la situation est critique, elle est aussi porteuse d'un enseignement que n'ont cessé de nous rappeler les jeunes qui marchent pour le climat depuis 2018 : la question de la fin du monde et de la fin du mois sont une seule et même question. Autrement dit : on ne fera pas la transition écologique sans prendre en compte son impact sur le pouvoir d'achat .
La voiture est une prison économique
C'est encore plus vrai en matière de mobilité où les solutions durables ne pourront s'imposer que si elles garantissent, à un prix similaire ou moindre, le même niveau de liberté que les transports individuels. En l'état, la voiture individuelle reste la norme pour plus de 80 % de nos déplacements quotidiens, alors qu'elle coûte sept fois plus cher que les transports en commun . Pis : chez les ménages modestes, l'usage de la voiture engloutit près d'un cinquième de leur revenu disponible.
La voiture n'est plus le symbole de liberté qu'elle a été durant les Trente Glorieuses ; elle est une prison économique pour les plus modestes en plus d'être un frein à la transition écologique.
Qu'on ne s'y trompe pas, il ne s'agit pas d'un choix mais bien d'une utilisation subie. Quand 86 % des Français éprouvent des difficultés à se déplacer, près d'un quart (23 %) affirment même avoir déjà renoncé à un travail ou à une formation parce qu'ils n'avaient pas les moyens de s'y rendre.
La voiture n'est plus le symbole de liberté qu'elle a été durant les Trente Glorieuses ; elle est une prison économique pour les plus modestes en plus d'être un frein à la transition écologique : les voitures individuelles représentent plus de 16 % des émissions nationales de GES et plus de 70 % de ces émissions sont liées aux déplacements quotidiens. Sans oublier le stress engendré par la congestion, la pollution et le bruit du modèle tout voiture.
Covoiturage, parking relais et trains régionaux
La question n'est évidemment pas d'interdire les voitures individuelles : simplement, nous devons donner à nos concitoyens les moyens d'en limiter l'usage en organisant la montée en puissance de solutions alternatives partagées, plus respectueuses de l'environnement.
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Comment la transition écologique va impacter la croissance et le pouvoir d'achat
Aussi, les objectifs ambitieux de réduction de nos émissions qui ont été fixés au niveau européen avec « Fit for 55 », et qui concernent au premier chef notre mobilité , doivent s'accompagner d'objectifs sociaux tout aussi ambitieux. Pensons aux zones à faibles émissions (ZFE) qui se développent autour des métropoles, et cristallisent bien la solidarité des enjeux sociaux et écologiques : éminemment nécessaires, elles n'en seront pas moins vouées à l'échec si leur mise en place aboutit à exclure les populations vivant en périphérie.
Or, pour répondre à ces besoins et assurer la connexion de tous aux centres, des solutions existent déjà et se développent progressivement partout dans le monde : le covoiturage, les parkings relais et les cars express, le renforcement des trains régionaux et la relance des lignes de desserte rurale, les bus solidaires, le transport à la demande, le vélo, etc.
Explosion sociale et recul écologique
La montée en flèche des prix de l'énergie doit nous conduire à amplifier ce mouvement pour que les habitants dépendants de leur voiture, particulièrement dans la périphérie des grandes villes, puisent s'en émanciper. Et il faut, en parallèle, mener une réflexion stratégique globale pour avancer vers un modèle d'urbanisme maîtrisé, adapté à la fois aux enjeux du changement climatique et aux attentes de nos concitoyens en termes de qualité de vie et de cohésion sociale.
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Nous sommes à un tournant : ou nous trouvons les ressorts collectifs pour faire de la crise énergétique l'occasion d'une révolution des mobilités ; ou l'accroissement de la pression sur le pouvoir d'achat des ménages conduira à une explosion sociale et à un recul en matière de transition écologique.
Thierry Mallet est PDG de Transdev.
Thierry Mallet