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EntretienQue disent nos paysages périurbains de notre société ? Sommes-nous, en France, encore sensibles au paysage ? Pierre-Jean Delahousse, président de l'association Paysages de France, a fait de la préservation du paysage et de nos abords de villes et villages un engagement permanent.
Action "Pas de pub, des arbres !" conduite par l'association Paysages de France dans le département du Nord, à Lewarde, le 28 juin 2014 © Paysages de France
Action "Pas de pub, des arbres !" conduite par l'association Paysages de France dans le département du Nord, à Lewarde, le 28 juin 2014 © Paysages de France
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Pierre-Jean Delahousse est président de l’association de protection de l’environnement Paysages de France. Fondée en 1992 à Grenoble, l’association a fait de la pollution visuelle — sous toutes ses formes — son cheval de bataille en réaction au «déferlement intempestif de laideur» et le manque d’intérêt porté par les français à la dégradation de son paysage. Entretien.*

tema.archi : Vous fondez l’association Paysages de France en 1992. De quelle constat résulte-t-elle ?

Pierre-Jean Delahousse : Après une longue période de vie passée à l’étranger, je me souviens avoir été particulièrement marqué et choqué par l’état des abords des villes françaises que je trouvais, déjà dans les années 1990, effarants de laideur, avec les axes commerciaux, les périphéries urbaines, les zones d’activités, etc. On s’est demandés comment est-ce possible ? D’où ça vient ?

À l’époque, aucune organisation ou groupe ne s’intéresse à ces sujets. Il existait des associations de défense de la nature ou du patrimoine, mais aucune ne se préoccupe du paysage ou ne remet en question la présence intempestive de l’affichage publicitaire aux abords des villes par exemple. Certaines associations considèrent d’ailleurs que ça concerne uniquement des coins moches de France, des territoires sacrifiés.

C’est un sujet très politique et très sensible, et il n’intéresse pas spécialement la population. Les français sont en effet très accoutumés à ce spectacle. Toute cette publicité s’est installée dans le paysage depuis des décennies, à tel point qu’ils ne la perçoivent plus. Les étrangers, au contraire, sont très choqués par la dégradation du paysage partout en France.

Comment intervenez-vous face à ces phénomènes ?

Depuis 30 ans, nous avons organisés un grand nombre d’actions sur tout le territoire, et nous nous sommes assez rapidement spécialisés dans l’affichage publicitaire, en s'intéressant à son meilleur encadrement.

La publicité c’est tout sauf anodin, et nous nous sommes rendus compte aujourd’hui, notamment vis-à-vis de tous les problèmes auxquels l’environnement est confronté. C’est totalement paradoxal de parler sans arrêt d’environnement, sans jamais s’attaquer à la publicité, de surcroit celle qui est dans la rue qui s'impose à tous. Notre objectif, c’est de la juguler, la restreindre et la remettre à sa place.

Et puis, je pense qu’il faut aussi élever le niveau culturel des gens, pour qu’ils prennent conscience de ce qu’ils ont en face d’eux. C’est un travail à très long terme, qui consiste à faire évoluer les mentalités et la sensibilité au paysage.

Certaines villes sont-elles exemplaires en la matière ?

Disons que certaines villes ont été marquées par les actions de l'association. Au fil des années, nous avons d'abord joué un rôle incitatif par nos actions, très locales et très concrets. À Grenoble par exemple, où se situe le siège de l’association, nous avons fait démonté beaucoup de panneaux, ça a été très long mais nous y sommes arrivés.

Récemment, la ville a aussi mis en place le slogan «Pas de pub, des arbres» que l’on avait lancé. C’est-à-dire que la municipalité a enlevé de nombreux panneaux pour les remplacer par cinq ou six arbres. Un panneau publicitaire, c’est une entrée dans le décor. Derrière le panneau se déroule une ville, une autre ville : celle où on a envie d’habiter, d'aller se promener, de s’asseoir sur un banc, de rencontrer des gens.

Quelle évolution observez-vous en l’espace de 30 ans ?

Je dirais qu’au-delà de l’affichage publicitaire, il existe des problèmes qui sont d’une importance majeure pour le paysage mais sur lesquels nous avons peu de poids, comme l’étalement urbain ou l’artificialisation des sols par exemple, qui se sont accélérés dans des proportions extraordinaires. On parle quand même de la surface d’un département qui disparait, selon les sources, tous les sept ou dix ans. Aujourd’hui on en parle beaucoup, mais c’est peut-être un peu tard.

On arrive aujourd'hui à une forme de non-paysage, où on ne sait plus très bien si on est en ville ou non. C’est curieux : la ville mange la campagne, sans être non plus une ville. On a l’impression que ça ne s’arrête jamais, avec un urbanisme qui n’arrive pas à définir des limites entre ce qu’on appelait autrefois la campagne ou les paysages ruraux, et la ville proprement dite avec tous ses atouts historiques, culturels, etc.

L’association est aussi à l’origine de la création du prix de la France Moche. Pourquoi une telle initiative ?

Sur le plan de la communication et donc de la sensibilisation, le prix de la France Moche de faire parler d’un sujet dont on ne parle pas autrement. Ça permet à certaines personnes d’ouvrir les yeux sur leur environnement, et pour d’autres, d'y réfléchir, y compris très négativement. Mais peu importe, l’expérience nous a prouvé que les gens qui réagissent négativement, on les retrouve dix ans après avec une toute autre approche du sujet, y compris des élus.

Et puis, on porte aussi la volonté de faire réagir les maires qui ne respectent pas les règlementations, qui se moquent de l’environnement mais aussi du citoyen, puisque ces règlements de publicité sont aussi là pour protéger le citoyen.

Propos recueillis par Marie Crabié dans le cadre de l'article «Belle», «moche» ou «bizarre»... Comment voit-on l’architecture de nos villes ? paru sur tema.archi le 6 mai 2022.

La rédaction
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