Le Shift project publie ses cahiers de résilience territoriale

Comment mobiliser largement élus et collectivités autour des enjeux de transition écologique ? Le Shift project a récemment publié des "cahiers de résilience territoriale" centrés sur six types de territoires : villes, campagnes, métropoles, montagne, littoral et outre-mer. Le think tank mise sur la contextualisation des repères fournis, mais également sur de courts récits destinés à susciter une réaction émotionnelle, pour convaincre les élus de s’emparer de ces enjeux avec partenaires et habitants et d’adopter un "plan de résilience territoriale".   

"2035, la ville prend l’eau" ; "Sans essence, le village s’est arrêté de vivre" ; "Été 2035, la métropole suffoque" ; Savoie, novembre 2035 : "Y aura-t-il de l’eau pour Noël ?"… Dans sa dernière publication dédiée à la résilience des territoires, le think tank the Shift project ouvre ses chapitres par de brefs récits destinés à sensibiliser autrement que par le raisonnement scientifique, toucher au-delà du cercle des convaincus et, idéalement, provoquer des électrochocs salvateurs. Chaque scénario catastrophe est en effet suivi d’un autre récit possible, où les crises ne sont certes pas évitées mais au moins anticipées et préparées, avec des orientations politiques et des actions permettant d’atténuer les chocs et de développer des alternatives en matière d’énergie, d’agriculture, de mobilité, etc. Par exemple, dans un territoire fictif d’outre-mer, l’envolée des prix mondiaux (essence, énergie, alimentation…) n’aboutit pas à une grave crise sociale parce que la région a misé sur "le développement d’une agro écologie nourricière locale" comme "moyen de conjuguer politique d’autonomie, d’emploi et d’écologie".

Mobiliser largement les élus autour de la résilience territoriale

Réalisés avec de nombreux partenaires dont France urbaine, Villes de France, Intercommunalités de France, l’Association des petites villes de France et la Banque des Territoires, ces cahiers "Résilience des territoires" ont été présentés le 17 mai 2022 lors d’un webinaire. Ils prolongent le premier rapport publié sur cette question (voir notre article d’octobre 2021) en explorant six environnements territoriaux : les villes, les campagnes, les métropoles, les territoires de montagne, les territoires littoraux et les territoires d’outre-mer. Pour mobiliser plus largement et efficacement les élus, les auteurs de l’étude insistent sur la sécurité et le bien-être des populations et sur les domaines de compétence des collectivités – aménagement, logement, mobilité… "En leur parlant à la fois de leur territoire, de leurs préoccupations au quotidien, en faisant appel à leurs émotions, et tout ça avec un discours scientifiquement solide, on peut espérer outiller les relais d’une campagne", explique Laurent Delcayrou, chef de projet au Shift project.

Avec ses partenaires, le think tank entend en effet mener une campagne de mobilisation à partir de septembre 2022 suivie d’une publication finale. D’ici là, les auteurs des cahiers invitent tous les élus et acteurs de territoire à leur faire part de leurs retours et expériences qui serviront à clarifier et compléter ce travail. L’objectif du Shift project à travers cette démarche : convaincre ces élus d’adopter, d’ici la fin de leur mandat, un "plan de résilience territoriale". Ce plan aurait vocation à repenser la gouvernance territoriale, à permettre à un territoire de s’approprier les enjeux de résilience, à "actualiser le projet de territoire" en fonction de ces enjeux et à "mettre en cohérence les politiques locales avec ces nouveaux objectifs".

Promouvoir une métropole "rayonnante et coopératrice" plutôt qu'"attractive et dépendante"

Les cahiers fournissent des repères utiles à l’élaboration d’un tel plan, en mettant l’accent sur les contraintes mais aussi sur les leviers dont disposent les élus. Par exemple, à défaut de terres disponibles et de puits de carbone suffisants, "aucune métropole ne pourra atteindre l’autonomie alimentaire ou la neutralité carbone en 2050", est-il écrit. En revanche, les métropoles peuvent "mettre leurs moyens humains et financiers au service de coopérations (intra ou inter) territoriales dans tous les domaines", par exemple pour restaurer des espaces naturels, préserver la ressource en eau et réduire le risque d’inondation, financer des projets d’installation d’énergie renouvelable "en conditionnant les financements à de réels débat locaux" ou encore "développer des capacités d’accueil hors des métropoles en cas de chaleur durable ou de crue importante". Au modèle dominant aujourd’hui de la métropole "attractive et dépendante", le Shift project oppose la vision d’une métropole "rayonnante et coopératrice".   

Aujourd’hui, "la somme des objectifs des plans climat réalisés par les intercommunalités n’atteint pas la moitié des objectifs fixés par la France en matière d’émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050", souligne Corentin Riet, chargé de projet au Shift project, citant une étude réalisée par Intercommunalités de France. Il poursuit : "il y a une mobilisation, il y a beaucoup d’initiatives au niveau local, mais on n’est encore pas du tout à la hauteur et on n’y arrivera que si l’immense majorité des élus locaux accepte de faire de cette question la boussole de son action sur les territoires". Des élus issus de territoires différents étaient présents lors de ce webinaire pour témoigner des enjeux spécifiques auxquels ils sont confrontés et des démarches qu’ils parviennent à mettre en œuvre (voir encadré).

  • Inondations, sécheresses, effondrements montagneux… Confrontées à des phénomènes exceptionnels, des collectivités déjà de fait dans une stratégie de résilience

Les récits de type dystopique ne sont pas toujours nécessaires pour donner la mesure des impacts, déjà bien présents, du changement climatique et de la raréfaction des ressources. C’est ce qu’ont démontré les élus qui participaient au webinaire du 17 mai.

La Guyane, avec son territoire couvert à 90% par la forêt amazonienne et ses retards de développement structurels, offre une illustration saisissante des enjeux d’équité qui se jouent aujourd’hui. Marie-Laure Phinera-Horth, sénatrice et ancienne maire de Cayenne, plaide pour la fin de la gestion de la forêt par l’État et pour la recherche d’une voie médiane entre "préservation de notre bien commun" et "exploitation" et "développement économique" dans un cadre légal. Autre sujet pour la Guyane : la pluviométrie exceptionnelle de ces derniers mois, exposant des villages à des inondations, et même pour certains à un impératif de relocalisation à plus ou moins brève échéance. L’élévation du niveau de la mer concerne également nombre de communes de la métropole, rappelle Yannick Moreau, maire des Sables-d’Olonne (Vendée) et président délégué de l’Association nationale des élus du littoral (Anel). L’élu vendéen évoque aussi "la multiplication des phénomènes météorologiques exceptionnels", comme les tempêtes, les incendies et la remontée du biseau salé. Particulièrement exposées, "les communes littorales sont aussi à la pointe de l’action, de l’innovation", ajoute-t-il avec optimisme.   

Dans les Hautes-Alpes, "la montagne tombe", rapporte Pierre Leroy, ancien maire de Puy-Saint-André et président du pays Grand Briançonnais. Isolant des villages entiers, ces effondrements ont eu lieu au Pas de l’Ours dans le Queyras ou encore au tunnel du Chambon. "Tous nos concitoyens sont touchés", témoigne Pierre Leroy, évoquant les glissements de terrain, la baisse de l’enneigement, la sécheresse "alors qu’on est à la source" ou encore les "pathologies qui remontent le long de la Durance"… A Grenoble, ville de 160.000 habitants au sein d’une agglomération de 450.000, la chaleur précoce et le défaut d’enneigement se font également sentir, avec des risques d’incendie et également un sujet important de pollution de l’air.

"L’énergie, le foncier, l’agriculture, la biodiversité, l’urbanisme, la démocratie, la mobilité… travailler sur la transition c’est prendre tout ce paquet et organiser le territoire", met en avant Pierre Leroy, détaillant sa conception du "passage délicat" dans lequel se trouvent les territoires aujourd’hui – à laquelle il a dédié un livre, publié en 2021 chez Actes Sud. Des résultats ont été obtenus sur sa communauté de communes en une dizaine d’années : baisse de 40% des consommations d’énergie et production d’énergie dans le cadre d’une société d’économie mixte associant la commune, des entreprises et des citoyens – "on produit deux fois l’énergie que l’on consomme" -, diminution de 50% des ordures ménagères, classement d’une réserve naturelle de 700 hectares et passage de 14 hectares à 4 hectares constructibles dans les documents d’urbanisme… "Donc les solutions sont là, à notre main, faut-il encore animer les territoires", affirme Pierre Leroy, ajoutant que, "sans délibération citoyenne", une telle stratégie est "vouée à l’échec".