La crise sanitaire a engendré un "réancrage territorial" du commerce

La crise sanitaire a laissé des traces probablement durables sur la géographie de la consommation et de l'équipement commercial. Lors d'un webinaire organisé le 21 juin 2022 par l'Observatoire des impacts territoriaux de la crise et la société IRI, des experts ont mis en avant la logique en cours de "réancrage territorial du commerce". Mais attention, l'essor du e-commerce fait aussi poindre un risque d'obsolescence pour le commerce physique, avec des rendements bien supérieurs...

Avec la crise covid, les habitudes de consommation des Français ont été bouleversées. Ces changements qui ont un impact direct sur la géographie du commerce sont-ils pérennes ? C'est à cette question que se sont intéressés l'Observatoire des impacts territoriaux de la crise et la société IRI, lors d'un webinaire organisé le 21 juin 2022. "La crise sanitaire a fait changer les habitudes des Français : un Français sur cinq ne fait plus ses courses dans le même lieu, a expliqué Emily Mayer, directrice Business Insight chez IRI, ils achètent davantage en proximité, et aujourd'hui on observe que cette habitude d'acheter autour de chez soi est restée".

Les analyses détaillées de la société IRI montrent ainsi les évolutions qui ont eu lieu lors de la crise covid. Durant cette période, les métropoles ont été particulièrement impactées. Elles ont perdu plus de 42.000 emplois salariés privés de l'économie de proximité (besoins de premier ordre), une baisse de 2,5%. A l'inverse, les territoires moins denses ont été bien moins touchés. Reste le cas des communautés de communes. Si on considère la totalité de ces territoires, y compris ceux dont l'économie repose sur les filières touristiques fortement impactées par la crise covid, ils enregistrent une baisse de 4%. Mais "si l'on retirait les zones touristiques, les résultats seraient meilleurs, comme pour les autres territoires moins denses", a précisé Jean-Baptiste Loigerot, responsable Modèles et Géomarketing Solutions & Innovation chez IRI. Les communes en périphérie des grandes villes ont vu leur commerce continuer à progresser, en particulier du fait de l'essor du télétravail et des restrictions des déplacements.

Ville du quart d'heure

La chute des activités touristiques a également pénalisé les grandes villes. "Il y a eu une rétraction des zones de chalandises", a détaillé Pascal Madry, directeur de l'Institut pour la ville et le commerce, chercheur associé en urbanisme et immobilier commercial : "Là où avant on était plutôt sur des marchés de consommation étendus à 20 ou 30 minutes, on est passé à 15 minutes, c'est la ville du quart d'heure qui a redessiné le maillage commercial de consommation sur le territoire". Sur l'aspect géographique, c'est surtout le grand ouest, et particulièrement la Bretagne, qui a profité de ces changements. Pour Emily Mayer, il ne s'agit pas d'une mutation mais plutôt d'une accélération des changements en cours. "Avant, c'étaient les retraités qui faisaient la consommation dans ces territoires, maintenant ce sont aussi les actifs avec le télétravail, a-t-elle souligné, et le changement climatique peut faire bouger encore cette géographie de la consommation".

Pour Pascal Madry, on assiste à une sorte de "dépolarisation" ou de "rediffusion de l'équipement commercial". "Dans la France d'il y a un siècle, on avait un commerce très diffus sur les territoires, a-t-il expliqué, chaque Français avait accès à trois ou quatre kilomètres à un bouquet de commerces pour l'essentiel de sa consommation. Avec la grande distribution, la géographie commerciale est devenue beaucoup plus polarisée. Nous voyons maintenant un desserrement, une dépolarisation ou rediffusion de l'équipement commercial, avec une progression des magasins à 15 minutes".

Obsolescence accélérée du parc physique

Ces mouvements vont-ils se renforcer ? D'après le directeur de l'Institut pour la ville et le commerce, les politiques publiques vont plutôt dans ce sens, les collectivités souhaitant travailler avec les acteurs indépendants locaux du secteur sur des circuits courts et des zones de chalandises beaucoup plus réduites. Une "logique de réancrage territorial du commerce", selon Pascal Madry. "Depuis les années 2000, la consommation a progressé mais les surfaces ont augmenté plus vite, a-t-il insisté, on est dans une situation de surcapacité de vente par rapport aux besoins de consommation des territoires, la consommation est passée de 600 à 930 milliards d'euros quand les équipements commerciaux ont doublé ! Demain, on peut avoir une géographie réorganisée sur les bassins de consommation avec un parc plus réduit qu'il ne l'est aujourd'hui". Les points de vente cherchent à développer du flux. Ils essaient de ramener les consommateurs sur place en réaménageant leurs zones, quitte à installer des espaces nouveaux : espaces de coworking, logements, bureaux…

Certains secteurs ont davantage subi le choc de la crise. C'est le cas notamment de l'équipement de la personne (chaussures, textiles), tandis que l'alimentaire a largement progressé. "C'est l'un des secteurs qui a le plus progressé avec la restauration depuis les années 2000, a signalé Pascal Madry, avant il ne représentait que 7% des points de vente, cette part a doublé depuis 2020". Mais parallèlement à ce phénomène d'achat en proximité se développe fortement le e-commerce qui aura lui aussi un impact sur la géographie de l'équipement commercial. D'après les projections de l'Institut pour la ville et le commerce, en 2030, il pourrait représenter une part de marché de 20 à 30%. "Cela correspond à de nouveaux besoins mais aussi à de la substitution. On estime en conséquence qu'il y aura sûrement une progression de la vacance commerciale et des fermetures, a détaillé Pascal Madry. Les petites boutiques qui ont aujourd'hui à nouveau le vent en poupe pourraient en même temps perdre du terrain et du chiffre d'affaires, comme les centres commerciaux, du fait du développement du e-commerce. Les chiffres avancés par Pascal Madry sont parlants : "Un entrepôt de 110 m2 génère le chiffre d'affaires de 500 moyennes surfaces ou de 5.000 boutiques. Il y aura donc sûrement des phénomènes d'obsolescence accélérée du parc physique."

 

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