Hausse des prix de l'énergie : les collectivités entre "hivers difficiles" et réchauffement climatique

La flambée des cours de l’énergie prend de l’ampleur et pèse désormais sur les perspectives financières des collectivités. Plusieurs voix, dont celle de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), s’élèvent pour que des mesures soient prises rapidement – retour aux tarifs réglementés, facilitation de l’accès aux "Power Purchase Agreements"… Ce mouvement haussier, pérenne, n’irait pas sans présenter quelques avantages, notamment au regard de la lutte contre le changement climatique. À court terme, c’est toutefois la perspective d’"hivers difficiles" qui inquiète.

"La transition énergétique est de longue date une préoccupation mondiale, une orientation nationale et un domaine significatif de l’action publique locale. Mais l’augmentation des prix [de l’énergie] depuis l’été 2021 (…) constitue à cet égard, pour les collectivités locales, à la fois un risque et une chance." Ainsi s’ouvre, sous la plume de Serge Bayard, directeur général adjoint de la banque de financement et d’investissement, la note que la Banque postale vient de consacrer "aux collectivités locales et à la crise énergétique". Pour l’heure, c’est davantage la dimension "risque" que semblent retenir les collectivités, "prises en tenaille entre fins de mois et de fin du monde" (voir notre article du 29 juin). Si tant est que le terme de "risque" soit encore pertinent : le dommage ne relève plus de l’ordre de la probabilité, mais constitue bien une dure réalité. "Des collectivités sont contraintes de fermer leurs piscines, faute de pouvoir faire face à l’augmentation du coût de l’électricité", prenait ainsi comme exemple le président de l’Association des maires de France, lors du 63e congrès des maires de Loir-et-Cher du 23 juin dernier (voir notre article), relayant des inquiétudes qui n'ont cessé de monter depuis plusieurs mois (voir notre article du 1er avril 2022). "Certaines connaissent d’ores et déjà des hausses de leurs factures de plus de 300% les conduisant à faire des choix difficiles", s’alarme de son côté la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Une crainte d’autant plus grande qu’au-delà de son effet direct, cette hausse "contribue à un renchérissement des approvisionnements et des prix des services des collectivités", rappelle la Banque postale. Cette hausse, "la plupart des observateurs craignent (qu’elle) ne s’atténue pas avant plusieurs semestres, ce qui va donc lourdement peser sur les perspectives financières de la seconde moitié des mandats entamés", avertit Serge Bayard. Et ce alors que les budgets vont par ailleurs être obérés par la hausse du point d’indice dans la fonction publique (voir notre article du 28 juin), des taux d’intérêts, etc.

Retour aux tarifs réglementés ?

S’agissant de l’énergie, l’effet est d’autant plus dévastateur que les collectivités ne peuvent plus, depuis le 1er janvier 2021, bénéficier des tarifs réglementés (dont le gel vient par ailleurs d’être prolongé pour le gaz naturel jusqu’au 31 décembre, par arrêté du 25 juin) : "Les collectivités locales qui emploient 10 salariés ou plus ou dont les recettes annuelles sont supérieures à 2 millions d’euros, ont désormais obligation de souscrire une offre de marché quelle que soit la puissance souscrite pour leurs sites", rappelle la note de la Banque Postale. Une mesure qui, vu le contexte, a beaucoup de mal à passer. Après le groupe CRCE du Sénat au printemps (voir notre article du 4 mars), la FNCCR vient à son tour de demander à ce que les collectivités qui le souhaitent, quelle que soit leur taille, puissent de nouveau souscrire ces tarifs réglementés. Une perspective à laquelle la Commission européenne est fermement opposée. La fédération prône dans le même temps, pour les sites des collectivités en prix de marché, un "assouplissement de la réglementation des achats groupés avec notamment l’abandon du critère prix dès la passation des accords-cadres dans un contexte de forte volatilité des cours de l’énergie". 

Faciliter le recours aux PPA

La même FNCCR, avec France Urbaine à ses côtés cette fois, recommande par ailleurs de faire évoluer le cadre juridique des contrats d’achat d’énergie renouvelable à long terme (plus connus dans leur version anglaise, Power Purchase Agreement ou PPA) "pour en permettre la pleine appropriation par les territoires". Ces contrats, explique l’association, "permettent à un producteur d’électricité renouvelable de contractualiser directement avec un consommateur privé ou public sans passer par un intermédiaire" et sont en plein essor (voir notre article du 30 mars 2022). Ils pourraient l’être davantage encore, estiment les deux associations, si les règles de la commande publique, "en particulier celles relatives à la durée", n’empêchaient pas les acteurs publics "de se couvrir dans le temps, vis-à-vis de marchés de l’énergie imprévisibles et extrêmement haussiers". Pour favoriser leur recours, la FNCCR émet dans une note détaillée plusieurs préconisations : lorsque la collectivité acquiert l’installation, elle recommande le marché de partenariat ou la concession de travaux ; lorsque la collectivité n’acquiert pas l’installation, la FNCCR suggère de recourir plutôt à un marché public de fournitures, en veillant particulièrement à la définition des besoins et à la durée du marché. Au-delà, pour assurer la sécurité juridique de ces dispositifs, elle propose plusieurs évolutions législatives, qui pourraient prendre place selon elle "dans le cadre de l’examen des différents projets de loi annoncés pour l’été par le gouvernement". Les amendements sont déjà prêts. Nul doute que des parlementaires ne manqueront pas de se les approprier.
D’autres solutions ont également été mises en avant pour réduire les factures – et la consommation – lors d’un colloque qu’Amorce a consacré au sujet le 28 juin dernier : réseaux de chaleur, autoconsommation collective ou encore dispositif intracting pour la rénovation énergétique des bâtiments. Mais tout cela prend du temps. 

Un phénomène haussier pérenne… et positif ?

Reste que si le caractère "imprévisible" des marchés dénoncé par les associations peut sans doute être discuté, leur caractère "haussier" paraît assuré. "En utilisant une focale longue, on ne doit pas oublier que l’énergie coûtera plus chère demain qu’hier", avertit la Banque postale. C’est en cela que Serge Bayard y voit une chance, en entraînant "une véritable transformation des politiques et des pratiques du monde local". "Les schémas régionaux comme les plans territoriaux climat-air-énergie, qui auraient pu n’être que des pétitions de principe, comportent ainsi pour la plupart des ambitions précises et chiffrées qui engagent les acteurs locaux dans une démarche vertueuse", constate-t-il.
La note relève encore que l’énergie n'est pas qu’une charge, mais aussi une ressource pour les collectivités locales. En générant des recettes fiscales d’abord : la note met en avant le fait que pour près d’un quart des collectivités, les recettes fiscales intégralement assises sur une ressource énergétique pèsent plus de 10% de la fiscalité totale (et même plus de 50% pour 263 communes). Mais aussi des ressources financières liées à la production d’énergie sur le territoire, qu’elles soient directes (vente d’énergie, loyers et fiscalité) ou indirectes (le versement possible de dividendes), sans oublier les retombées économiques (emplois, valorisation de ressources locales). Demain, tous producteurs ? "Le retour sur investissement est difficile à appréhender" pour les collectivités, tempère la note de la Banque postale, qui n’apporte d’ailleurs pas de réponse à la question qu’elle pose pourtant explicitement : "la production locale d’énergie : un retour sur investissement plus écologique et économique que financier ? "

Tarifs réseaux pour les ELD publiés

Certaines collectivités (environ 130, précise la Banque postale) sont, elles, encore distributeurs, survivance de la loi de 1946. La Commission de régulation de l’énergie (CRE), au terme "de plus d’une année de travaux", vient d’ailleurs de prendre plusieurs décisions tarifaires (voir le Journal officiel du 30 juin) relatives à ces "entreprises locales de distribution" d’électricité et de gaz naturel – majoritairement détenues par les collectivités locales ou l’État. Elles représentent 5% des consommations globales sur le territoire national.
Dans un éditorial publié ce 30 juin, le directeur général de ladite CRE, Dominique Jamme – qui observe que l’énergie est dans la guerre en Ukraine "une arme pour l’agresseur et une faiblesse pour l’Europe, car la Russie a patiemment renforcé, depuis des années, sa position dominante dans l’approvisionnement en énergie fossile du continent européen" – donne plus globalement la marche à suivre : "La baisse des consommations en premier lieu (…) ; le développement résolu et accéléré des énergies renouvelables électriques (…) ; le développement à plus long terme du nucléaire, indispensable pour l’électrification de notre société (…) ; le développement des gaz verts, principalement le biométhane." Il souligne que "les deux premières sont indispensables pour faire face aux prochains hivers qui s’annoncent difficiles pour notre pays du fait de la faible disponibilité du parc nucléaire qui s’ajoute à la crise gazière". Bref, en plus du réchauffement climatique, "l’hiver vient". Une double peine.

 

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