Déserts médicaux : pourquoi laisse-t-on mourir des territoires ?

Philippe Laporte

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Déserts médicaux : pourquoi laisse-t-on mourir des territoires ?

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Qui se soucie réellement des déserts médicaux ? La solution existe pourtant, par la limitation de la liberté de primo-installation. Mais pour Philippe Laporte, DGS de la communauté d’agglomération bergeracoise, l’incroyable inégalité dont leurs habitants souffrent en matière d’accès aux soins ne pèse visiblement pas lourd en face de la lâcheté des pouvoirs publics devant le lobby médical.

De toutes les inégalités, les différences touchant à la santé sont les plus scandaleuses. Parce qu’on naît dans un milieu favorisé, ou sur un territoire attractif, l’espérance de vie est structurellement divergente. Il n’y a jamais eu en France autant de médecins (215 946 fin 2016) mais les taux de couverture médicale varient par département de 1 à 4 pour les généralistes, de 1 à 8 pour les spécialistes ((Rapport sénatorial, 31 mai 2017, Maurey-Nicolay.)). Selon que vous vivez à Paris ou dans l’Eure, dans une métropole ou en zone rurale, vous avez facilement accès à un praticien ou non. En 2017, il y a 148 cantons sans généraliste, 581 sans dentiste ((Le Monde, 31 mars 2017.)).

La fiction de la médecine libérale

Les personnes les plus fragiles ou isolées renoncent souvent à se soigner. Sans dentiste, dans un bassin de population de 15 000 personnes, ce sont des milliers de vos compatriotes dont la santé se dégrade à bas bruit. La pénurie de psychiatres dans certaines zones ravage des familles et crée des violences. Nous ne parlons pas du Moyen-Âge ou d’un pays en voie de développement, mais de la France d’aujourd’hui.

Nous ne parlons pas du Moyen-Âge ou d’un pays en voie de développement, mais de la France d’aujourd’hui.

Pourquoi laisse-t-on courir plus de risques sanitaires à des individus, par la rareté de l’offre de soins ? Pourquoi augmente-t-on leur risque de décès ? Parce que la médecine de ville est, paraît-il, libérale. Les dépenses de santé représentaient, en 2015, 256,9 milliards d’euros (dont 39,5 pour les soins de ville et 20,1 pour les médecins), 12 % du PIB. 76,8 % sont financés par la Sécurité sociale de base ((Tableaux de l’économie française 2016.)), c’est-à-dire par des cotisations obligatoires. Chaque salarié est prélevé d’un taux qui participe à la solvabilisation de ce marché. Le caractère libéral de cette profession est donc une pure fiction, entretenue dans une visée uniquement corporatiste par les médecins pour empêcher toute régulation.

Double peine pour territoires les moins attractifs

La faiblesse, voire la lâcheté des pouvoirs publics devant cette profession, même très honorable, crée cette situation. Les collectivités locales des territoires moins attractifs paient l’immobilier des maisons de santé, des bourses aux étudiants, même des dispensaires (Saône-et-Loire) pour pallier le manque.

Lire aussi : Loiret : des médecins retraités à la rescousse

D’abord, c’est injuste, puisque les territoires fragiles, parce qu’ils sont fragiles, doivent payer en plus, via la fiscalité, ces dispositifs : c’est la double peine. Ensuite, ce sont des cautères sur une jambe de bois, car cela accentue la concurrence entre les territoires peu dotés (voir les pauvres se disputer les miettes est certes toujours distrayant), mais n’est d’aucun effet sur une régulation nationale entre ceux qui sont en surdensité et les autres. L’augmentation du numerus clausus, lui, a un effet différé à 9 ans et ne résoudra qu’une petite partie du problème.

Les territoires fragiles, parce qu’ils sont fragiles, doivent payer en plus, via la fiscalité, ces dispositifs.

La seule mesure efficace a été proposée par lAssociation des administrateurs territoriaux : réguler la primo-installation des médecins. Tous les arguments en défaveur de cette mesure sont de mauvaise foi. Qui fera 9 années d’études difficiles (payées par de l’argent public…) et se permettra de ne pouvoir pratiquer son métier, même si la condition préalable est d’exercer un temps en zones sous-dotées ? L’intérêt général de 40 millions de Français de la « France périphérique » ne se confond pas avec la somme des intérêts particuliers de 200 000 médecins. 3,9 millions de Français vivent dans des territoires en situation alarmante et 4,8 millions en zones délaissées. Si cette mesure n’est pas appliquée rapidement, il est certain que l’urgence sanitaire va devenir dramatique. Les décideurs d’aujourd’hui seront responsables de non-assistance à personnes en danger s’ils restent passifs devant cette situation connue, identifiée et soluble avec un peu de courage.

Lire aussi : Les administrateurs veulent bousculer la Territoriale

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