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Élections municipales : "On assiste à une intercommunalisation des enjeux"

L'intercommunalité serait plus visible dans la campagne des élections municipales qu'elle ne l'était il y a six ans, même si les candidats explicitent peu ce qui relève de l'échelle intercommunale, observent Nicolas Portier, délégué général de l'Assemblée des communautés de France (ADCF) et Rémi Lefebvre, chercheur au CNRS. Le professeur de sciences politiques, qui coordonne le collectif de recherche sur les élections municipales et intercommunales (CREMI), estime par ailleurs qu'à la veille du premier tour, certains repères politiques sont "brouillés". Interview à deux voix.

Localtis - En 2014, l'intercommunalité avait été très discrète dans les débats qui avaient précédé les municipales. Qu'en est-il cette année ?

Rémi Lefebvre - L'intercommunalité ne fait pas l'objet d'une politisation majeure au cours de cette campagne. D'abord, on ne parle plus du fléchage comme en 2014, car ce n'est plus une nouveauté. Ensuite, les agendas restent essentiellement municipaux. De rares programmes intercommunaux sont déposés, par exemple par des candidats écologistes – ce qui d'ailleurs n'est pas la première fois – ou parfois par des candidats appartenant à d'autres forces politiques, à l'instar de la maire sortante de Rennes, Nathalie Appéré.
Nicolas Portier - Ce qui est certain, c'est que la communication officielle sur la dimension intercommunale du scrutin est trop faible. Les informations que l'on trouve sur les sites internet des préfectures évoquant "les élections municipales et communautaires" – une notion qui, au passage, peut prêter à confusion avec le terme "confessionnel" – ne sont clairement pas suffisantes. Au-delà, on remarque que les candidats ne s'aventurent guère à faire des plateformes programmatiques intercommunales. En 2020, l'intercommunalité n'est donc pas plus intelligible qu'en 2014. Pour autant, elle est davantage présente dans les esprits.

Localtis - À quoi est-ce lié ?

R.L. - À une publicité un peu plus grande. La médiatisation de l'enjeu intercommunal demeure, certes, globalement limitée. Mais on observe que la question du déficit démocratique intercommunal devient un sujet, aussi bien dans les médias locaux que les médias nationaux. La presse s'intéresse aussi au scrutin inédit qui va avoir lieu au sein de la métropole de Lyon. Par ailleurs, si l'institution intercommunale n'est pas toujours explicitement évoquée, les problématiques d'action publique qui dominent dans la campagne sont souvent du ressort de l'intercommunalité. C'est le cas avec l'écologie qui, de surcroît, fait l'objet d'une surenchère – notamment parce que les listes des écologistes sont parfois en bonne position dans les sondages. On le voit aussi avec la proposition de rendre gratuits les transports publics. Avec tout de même, sur ce type de sujets, la propension de certains candidats à passer sous silence le fait que la décision relève d'un niveau dépassant l'échelle communale. La démocratie participative à l'échelle intercommunale est également parfois mise à l'agenda.
N.P. - L'apaisement de la ville, les problématiques de transports, le commerce – pas seulement en centre-ville, mais aussi en périphérie – sont des thèmes très présents dans la campagne. On assiste de fait à une intercommunalisation des enjeux, même s'il est vrai que les candidats n'expliquent pas toujours aux électeurs que les responsabilités dans ces domaines relèvent de l'intercommunalité. C'est d'ailleurs particulièrement dans les villes-centre que les discours des candidats sont flous sur les frontières de l'action municipale et de celle qui relève de l'intercommunalité. Cette difficulté apparaît beaucoup moins dans les petites communes

Localtis - Un an après les manifestations des "gilets jaunes", les acteurs de la société civile interviennent-ils beaucoup dans la campagne ?

R.L. - Des listes citoyennes se présentent aux élections dans des villes comme Grenoble, Marseille, ou Brest. Elles appellent en particulier à une démocratisation de la vie politique municipale. De facto, elles prennent en charge la question de la démocratie intercommunale et la politisent, plus que les partis traditionnels. Les milieux économiques se font aussi entendre dans cette campagne : le Medef de la métropole européenne de Lille a produit un document de 50 propositions. Des collectifs citoyens interviennent par ailleurs. C'est le cas par exemple à La Clusaz et La Plagne, où un collectif a dénoncé le projet de Scot qui prévoit d'agrandir le domaine skiable.
N.P. - C'est certain, les collectifs "verts" et les listes citoyennes poussent à cette intercommunalisation des enjeux. On le voit par exemple à Douarnenez, où un collectif de 500 habitants a demandé que soit engagé un plan Climat appelant à des actions à l'échelle intercommunale. Lorsque les milieux économiques – la chambre de commerce et d'industrie par exemple – interpelle les candidats, ce qui est le cas dans de nombreuses agglomérations, cela conduit aussi à aborder les débats sous l'angle intercommunal.

Localtis - Quelle vision les candidats ont-ils en général de l'intercommunalité et de son rôle ?

R.L. - À la fin des programmes des candidats, il peut y avoir un certain nombre de propositions sur l'intercommunalité. C'est alors avec une question sous-jacente qu'est évoquée l'intercommunalité : que va-t-elle apporter à la commune ?
N.P. - Dans les petites communes membres de communautés de communes, l'intercommunalité est vue comme une coopérative, une structure qui apporte son aide. Certes, il est également possible qu'il y ait ici ou là des listes de candidats foncièrement hostiles à l'intercommunalité. Compte tenu des discours qui, l'an dernier, mettaient en cause son bien-fondé, nous redoutions l'émergence de telles listes. Finalement, nous n'en avons pas repéré. Il y a bien eu récemment la prise de position du président d'une communauté de communes de l'est de la France en faveur de la scission de son EPCI. Mais l'élu contestait davantage le périmètre que l'intercommunalité dans ses fondements. L'heure est donc à présent à l'amélioration de la gouvernance et des relations entre les communautés et leurs communes.

Localtis - Les candidats font-ils état de leurs intentions de se présenter ou non à la présidence de l'intercommunalité ?

R.L. - Incontestablement, dans les grandes villes, on observe que les candidats sont amenés à déclarer leurs intentions pour le troisième tour de scrutin. À Lille, par exemple, Martine Aubry s'est engagée à ne pas diriger l'intercommunalité. Gérald Darmanin ne sera pas non plus candidat à la présidence de la métropole. Il l'a en tout cas suggéré. En revanche, la candidature de Rudy Elegeest, actuel maire de Mons-en-Barœul, émerge. L'élu entend se poser en alternative au président en exercice, Damien Castelain.
N.P. - Des maires sortants de villes-centres ont déjà annoncé qu'ils brigueraient la présidence de la communauté. Dans ces cas-là, les challengers prennent le contre-pied. Les négociations vont avoir lieu après le premier tour, lorsque les listes seront amenées à fusionner. Mais tout va se jouer au cours des quatre semaines qui séparent l'élection des maires de la première séance au cours de laquelle le conseil communautaire élit les vice-présidents et le président. Les villes-centres devront alors composer avec les petites communes. On va voir apparaître des coalitions. Les anciennes intercommunalités, qui forment désormais, dans certains cas, des pôles territoriaux, vont demander une place dans l'exécutif.

Localtis - Ce scrutin présente-t-il des spécificités par rapport aux précédentes élections de 2008 et 2014 ?

R.L. - Le brouillage de l'offre politique auquel on assiste – avec par exemple des candidats En marche qui ne se déclarent pas comme tels – est inédit. En outre, les systèmes d'alliances sont totalement éclatés selon les villes. Ainsi, à certains endroits, le parti communiste fait alliance avec la France insoumise, alors qu'à d'autres, les deux formations sont en conflit très dur. Les listes citoyennes sont aussi présentes. On peut émettre l'hypothèse qu'avec cette offre inhabituelle, les électeurs soient un peu perdus et que l'abstention progresse. Cette configuration devrait également peser sur l'entre-deux tours, qui devrait être compliqué, plus que d'habitude. Les triangulaires devraient être nombreuses. Les négociations porteront alors sur le fléchage et les enjeux intercommunaux.
N.P. - On assiste à un éclatement de la vie publique, avec une profusion de listes dans de nombreuses villes. La probabilité qu'il y ait une triangulaire au second tour est forte dans beaucoup de ces communes. Ce qui pose la question de la fusion des listes entre les deux tours. À ce moment-là, tous les candidats auront à l'esprit l'élection d'après, celle de l'exécutif de l'intercommunalité.