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Fin de la Convention citoyenne pour le climat : le gouvernement très mal noté

La Convention citoyenne pour le climat (CCC), chargée par Emmanuel Macron de proposer des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre, a achevé ses travaux ce 28 février en portant un jugement sévère sur les décisions prises par le gouvernement pour traduire ses préconisations. Appelés à voter au terme de cette session finale tenue par visioconférence, les quelque 120 citoyens inscrits sur les 150 tirés au sort n'ont accordé la moyenne à aucun des six grands thèmes qu'ils avaient à évaluer. Après ce camouflet, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a assuré ce 1er mars que le gouvernement respectait "l'esprit" de la Convention citoyenne et avait fait le choix d'une mise en œuvre "la plus efficace possible".

C'est une douche froide pour l'exécutif. Réunis du 26 au 28 février en visioconférence, en raison de la crise sanitaire, les quelque 120 membres de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) inscrits à cette ultime session - sur les 150 qui avaient été tirés au sort- , devaient évaluer sur une échelle de zéro à dix,  la prise en compte par le gouvernement de 47 "objectifs" et de six grands thèmes sur lesquels ils ont travaillé pendant 18 mois, puis répondre - toujours par vote - à quatre questions plus générales, tirant le bilan de l'exercice qui les a conduits à présenter 149 propositions au président de la République en juin dernier.

Succession de mauvaises notes

Les participants à cet exercice de démocratie participative, inédit de cette taille en France, ont sorti le stylo rouge, avec une note moyenne de 2,5 sur 10 seulement au fait que les mesures du gouvernement permettent de respecter le mandat initial de la convention  - "s'approcher de l'objectif de diminuer d'au moins 40% les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030, dans un esprit de justice sociale"- et un 3,3 sur 10 pour la prise en compte générale par le gouvernement de leurs propositions. Ils ont toutefois estimé majoritairement (à 6 sur 10) que la CCC avait été "utile à la lutte contre le changement climatique" et que "le recours aux conventions citoyennes (était) de nature à améliorer la vie démocratique de notre pays" (7,7 sur 10).
Mais sur la traduction concrète de leurs mesures, aucune des six familles de propositions n'a obtenu la moyenne : la thématique "se loger" a recueilli un médiocre 3,4 sur 10 ; "Produire et travailler", "se nourrir" et "se déplacer" 3,7 chacune ; "Consommer" a eu 4 et les propositions sur la gouvernance 4,1. 
Au sein de ces thématiques, seuls six objectifs atteignent ou dépassent la moyenne. La meilleure note - 6,1 – a été attribuée à la réforme de l'article premier de la Constitution, visant à introduire la lutte contre le changement climatique, sur laquelle Emmanuel Macron a proposé un référendum. Le zéro émissions des navires lors de leurs opérations dans les ports obtient 5 sur 10, le fait d'inclure des citoyens dans la gouvernance des mobilités au niveau local comme au niveau national 5,5 sur 10 ou encore le développement des circuits courts 5,2 sur 10. Mais le jugement est très dur sur d'autres objectifs emblématiques : 2,8 sur 10 seulement pour "limiter les effets néfastes du transport aérien". Et 2,7 pour l'introduction dans le droit d'un délit "d'écocide", amoindri par rapport à la proposition de la Convention qui voulait en faire un crime.

Engagement bafoué pour de nombreux citoyens

"Pourquoi le président n'a pas voulu tenir compte de notre avis, je ne sais pas, la démocratie participative, c'est fait pour écouter le peuple", a regretté Mathieu (les citoyens étant désignés par leurs seuls prénoms). Emmanuel Macron avait décidé de créer la CCC au sortir de la crise des "gilets jaunes", née d'une taxe carbone sur les carburants, perçue comme injuste. Démarrée en octobre 2019, la Convention a remis en juin dernier, au terme d'un calendrier bouleversé par le Covid, 149 propositions au président qui en a rejeté trois et s'est engagé à transmettre les autres "sans filtre".
Un engagement bafoué pour de nombreux citoyens, faussant l'issue de leurs travaux. "On se retrouve avec deux projets. On portera le nôtre, le gouvernement le sien, je trouve ça dommage," a déclaré William, qui a proposé à la signature de la CCC et du grand public un "serment pour le climat".  Le gouvernement, lui, comptabilise 75 mesures mises en oeuvre et 71 en voie de l'être. Certaines via le plan de relance ou le budget, d'autres dans des décrets, ainsi qu'une quarantaine dans le projet de loi Climat et Résilience, qui sera débattu à l'Assemblée fin mars.

Ambitions à la baisse pour les écologistes

Mais les écologistes dénoncent des mesures écartées et des ambitions à la baisse. Et le Haut Conseil pour le climat a critiqué des mesures gouvernementales et la loi climat, également jugée sévèrement par d'autres instances. "Ça n'est pas surprenant, c'est quelque chose à quoi on s'attendait," a commenté une source au ministère de la Transition écologique après cette conclusion. Sur certaines mesures, comme l'écocide, "les divergences étaient clairement assumées", a-t-elle relevé. Cette source a en revanche regretté qu'un bloc de 15 à 20 votes "zéro" systématiques ait rendu l'analyse précise des résultats moins facile. Un vote systématique qui a également été critiqué par certains membres de la convention.
"Il y a forcément de la déception," a conclu le réalisateur Cyril Dion, qui avait milité pour cette convention et en était un "garant", tout en louant le "travail extraordinaire qui a été fait" par ses membres. Le député Matthieu Orphelin, ex-LREM et proche de Nicolas Hulot, a estimé que "les 150 citoyens punissent très fortement (et très logiquement) l'inaction et le manque d'ambition de l'exécutif". Une "gifle", estime même le patron de Greenpeace France, Jean-François Julliard. Et pour le WWF, "la copie du gouvernement n'est pas au niveau". 
Mais malgré leurs déceptions, les membres de la Convention se félicitaient plutôt de l'expérience qu'ils ont vécue.  "Ces conventions citoyennes sont importantes, ça permet aux citoyens de s'exprimer et la possibilité de s'investir dans la vie démocratique", estimait ainsi Nadine. Et pour Adeline, "ça montre que si on donne du temps et des infos aux citoyens, on est tous capable de prendre de bonnes décisions, cohérentes, solides, ambitieuses".

Respecter "l'esprit" de la Convention, insiste Barbara Pompili

Au lendemain de cette ultime session, Barbara Pompili a assuré ce 2 mars devant la commission spéciale de l'Assemblée nationale sur le projet de loi "Climat et Résilience qui doit traduire une partie des propositions de la CCC, que le gouvernement respectait "l'esprit" de la Convention. "Sur les enjeux, on a repris l'esprit de tout ce que voulaient les membres de la Convention citoyenne", a déclaré la ministre de la Transition écologique. "On n'a pas tout repris (de ces propositions) parce qu'on a acté qu'il y avait un certain nombre de points qui nécessitaient soit une adaptation soit un travail avec les acteurs concernés pour que ce soit mieux accepté", a expliqué Barbara Pompili aux députés, donnant l'exemple du secteur aérien, "très sinistré". "S'il y a eu des bougés par rapport à ce que voulait la convention citoyenne, ce n'est certainement pas pour en changer l'esprit mais pour faire en sorte qu'on puisse le mettre en oeuvre de la manière la plus efficace possible", a-t-elle poursuivi, assurant qu'il n'y avait "aucune baisse d'ambition".
"Des demandes de recul sur ce texte, il va y en avoir beaucoup, parce que contrairement à ce qu'une petite musique laisse entendre, ce texte est quand même très ambitieux et vous aurez l'occasion d'entendre certains qui trouvent qu'il est trop ambitieux, qu'il veut aller trop vite, trop loin, que c'est trop compliqué", a-t-elle pronostiqué, en évoquant les futurs débats parlementaires. "Je n'émettrai un avis favorable que sur des mesures qui confortent l'ambition de ce texte et pas sur des mesures qui la rabaissent, après le Parlement est souverain et votera ce qu'il veut", a-t-elle insisté.
 

Paroles de citoyens

Comment les membres de la Convention citoyenne pour le climat ont-ils vécu cette expérience inédite? L'AFP a interrogé plusieurs d'entre eux, sur ce processus de démocratie participative et ce qu'il avait changé pour eux.
- Nicolas Ameglio, 18 ans. Lycéen lors de son tirage au sort, il était un des benjamins de la CCC. Il est désormais en première année en IUT à Nice.
 "Au début je me suis demandé si la Convention n'était pas un peu marketing, poudre aux yeux. Mais je me suis dit : 'une chance comme ça, je dois la saisir'. Quand on a remis nos propositions je me suis dit 'super, on a 'tenu parole'. Et puis après, on s'est dit 'il y a un truc qui ne va pas'. Je ne jette pas la pierre, c'est certain que nos propositions sont un peu radicales, mais on n'a fait que respecter la commande. On a gagné sur le côté démocratique, mais je suis extrêmement déçu.
 J'avais 17 ans, je commençais ma terminale, l'écologie j'en avais rien à faire. Ça a énormément impacté mes études, j'ai failli louper mon Bac. Mais ça a changé beaucoup de choses, ça m'a donné plus confiance en moi. Débattre avec des gens dans un hémicycle c'est quelque chose. Je m'en souviendrai toute ma vie et j'en suis extrêmement fier".
- William Aucant, 34 ans, architecte-urbaniste, vit à Nantes et a rejoint un collectif en vue des élections régionales.
 "Cette Convention devait être une grande victoire pour le climat, faire de la France un exemple international. Le début du chemin a été fait mais il ne va pas assez loin. Demander l'avis de citoyens sur le climat, en tenir vaguement compte et se satisfaire de ça, c'est décevant. J'ai rejoint l'appel 'pour une région Pays de la Loire écologique, démocratique et solidaire' pour accompagner au plus près les mesures qui auraient une répercussion à l'échelle locale. J'essaye aussi d'appliquer les recommandations de la CCC au quotidien. Mais je sais que même si je me transformais en super-héros, avec tous les Français, on ne réduirait les émissions de gaz à effet de serre que d'un quart."
- Grégoire Fraty, 32 ans, vit en Normandie. Ce co-fondateur de l'association Les 150, regroupant la majorité des membres de la CCC, a publié un livre sur cette expérience, "Moi, citoyen".
"Au départ il y avait beaucoup d'inconnues et je ne connaissais rien au climat. Mais je me suis dit, pour une fois qu'on me demande mon avis, je vais y aller. Au final, malgré des déceptions, la Convention a réussi à transformer l'essai. On a posé sur la table quelque chose de sérieux et on a fait infuser ces thématiques dans le débat public. Si on n'avait pas été là, on n'aurait jamais eu une loi climat, quoi qu'on en pense. Personnellement, j'en ressors comme quelqu'un d'hyper investi, qui passe son temps à s'occuper de promouvoir cette cause, je suis devenu un vorace de l'engagement. Je n'avais jamais parlé en public, ça m'a épanoui".
 - Clémentine M., 25 ans. Vivant à Pantin, elle travaille dans une agence de mannequins et comédiens.
"Quand j'ai été tirée au sort, j'ai d'abord pensé que c'était de la pub. Finalement j'ai regardé sur internet ce que c'était. J'étais très motivée, pleine d'espoir de participer et d'apprendre plein de trucs car l'écologie m'intéresse. J'ai suivi tout le début, ça allait très bien jusqu'à ce qu'on soit confinés. C'était très difficile pour moi de suivre à distance, j'ai pris du retard que je n'ai pas pu rattraper. Avec le Covid-19, je me concentre sur d'autres choses, j'ai un peu tiré un trait sur tout ça. J'ai une conscience écologique plus importante. J'essaye de sensibiliser, de faire attention à ma consommation. J'ai l'impression que ça a créé une communauté, beaucoup de gens se sont révélés, ça devrait être réutilisé.
 - Françoise P., 74 ans, retraitée dans une grande ville du Sud-Ouest.
"Je me suis retrouvée propulsée dans cette Convention sans trop savoir où j'allais, mais en espérant faire évoluer les choses. J'étais sensibilisée au réchauffement climatique, mais ça restait très vague. Comme je ne pensais pas pouvoir faire grand' chose, je suis étonnée du résultat, c'est positif. Des choses ont été supprimées : je pense que le gouvernement a eu peur des chamboulements que ça allait entraîner dans le domaine commercial, économique, de l'emploi. Je faisais déjà des choses sans savoir que c'était bon pour le climat : marche à pied, compost, bricolage, raccommoder des vêtements... Je fais plus attention aux produits qui viennent de loin. Je vois que mes petits-enfants, des adolescents, ont bien compris les enjeux."

 

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