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Des actifs de plus en plus sur-diplômés par rapport au poste qu'ils occupent

Le niveau de diplôme des actifs s'élève plus rapidement que le niveau de qualification des emplois, établit le Cereq à travers son dernier "Bref" qui analyse des données sur les formations et l'emploi sur les 25 dernières années.  

"La structure des qualifications de l'économie française se déforme vers le haut : les mêmes emplois étant pourvus à des niveaux de diplôme toujours plus élevés." Le constat de la dernière étude du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq), publiée le 21 juin 2021, n'étonnera personne. Mais il interroge un phénomène aux raisons multiples (évolutions démographiques, orientations de politiques éducatives, polarisation du marché du travail, transformations du travail et des organisations) à partir des données rétrospectives sur 25 ans (1994-2019). Et soulève la question de savoir si "à l’heure de la compétence, mettre en relation les formations et les emplois a-t-il encore un sens ?". 

Logique "adéquationniste" dans la fonction publique

"Héritées des Trente Glorieuses, les normes de qualification sont des constructions sociales qui postulent une relation d’équivalence entre les formations et les emplois", nous rappelle l'étude. Elles sous-tendent une logique "adéquationniste", encore de mise dans les professions réglementées de santé notamment et dans l’organisation des concours de la fonction publique, dont les niveaux A, B ou C sont calés sur des niveaux de diplôme.

Des normes qui restent d'ailleurs “une référence commune en matière d’orientation scolaire et professionnelle", souligne l'étude. Ainsi, élèves et familles ont en tête que "le CAP et le bac pro préparent aux emplois d’ouvriers et employés, les BTS et DUT aux emplois de techniciens ou d’agents de maîtrise, ou encore les masters et les grandes écoles aux emplois d’ingénieurs et cadres." Tout l'objet de la note étant de questionner, justement, ces références collectives.   

Une "élévation continue du niveau de diplôme des nouvelles générations"

Car depuis de nombreuses années, on assiste à une "élévation continue du niveau de diplôme des nouvelles générations", "conséquence du mouvement de hausse d’éducation" (augmentation des taux de scolarisation, allongement de la durée des études), engagé au cours des années 1960 en réponse à la demande générale d’éducation des jeunes, des familles, des entreprises et des pouvoirs publics. L'étude relève également que "la massification de l’enseignement scolaire et universitaire fait écho aux orientations successives des politiques éducatives  : collège unique, objectif de 80% d’une classe d’âge au niveau du bac, objectif de 60% d’une génération dans le supérieur, etc. relayées par des réformes européennes comme le LMD (licence-master-doctorat) qui contribuent à tirer l’offre éducative vers le haut". Simultanément, souligne le Céreq, la rénovation de la voie professionnelle, les politiques volontaristes de développement de l’apprentissage et la professionnalisation des études supérieures (création des licences professionnelles et des masters), "constituent des tentatives de contenir l'affaiblissement des normes de qualification". Il s’agit, selon le centre d'études, "de rapprocher le contenu des formations des 'besoins' des entreprises, et de développer l’alternance au sein de l’enseignement général, professionnel et apprentissage".

Pour la première fois, la part des cadres et professions libérales dépasse celle des ouvriers...

Les auteurs de la note, Christophe Guitton et Mickaële Molinari, alertent également sur une "montée en qualification des emplois" et l'illustrent en se référant à "la photographie du marché du travail" publiée en 2020 par l’Insee. 

Ainsi, d'après l'Insee, pour la première fois, la part des cadres et professions libérales dans l’emploi total dépasse celle des ouvriers : elle atteint 20,4%, contre 19,2% pour les ouvriers. L'institut constate aussi une "élévation du niveau de diplôme des actifs", avec une forte augmentation des bac+3 et plus, dont la part passe de 9% en 1994 à 25% en 2019. Pour le Cereq, "la progression est spectaculaire dans l’industrie et les services, mais également perceptible dans la construction. La part des actifs, bac et bac+2, double sur la période dans l’industrie et la construction. Symétriquement, la part du CAP recule dans tous les secteurs dans des proportions voisines. La part des actifs sans diplôme est en net recul, de 38% à 15%, sans toutefois disparaître". 

Les entreprises entretiennent un "rapport ambivalent" avec les normes de qualification

Par ailleurs, l'étude établit que le niveau de diplôme des actifs s’élève sensiblement au cours de la période 1994-2019 et que les emplois sont, en moyenne, de plus en plus qualifiés. "Mais le premier est plus rapide que le second", ce qui entraîne un "décalage" : "Les emplois sont alimentés à des niveaux de diplômes toujours plus élevés, entraînant une déformation vers le haut de la structure des qualifications", décrivent les auteurs avant de décrire deux conséquences de ce phénomène pour les sortants du système éducatif.

Tout d'abord, "la domination de l’enseignement supérieur long s’étend, au-delà de l’accès aux emplois d’ingénieurs et cadres, aux professions intermédiaires et aux emplois qualifiés des services". Il en résulte "un phénomène de déclassement pour les jeunes diplômés, objectivement ou subjectivement sur-diplômés par rapport aux emplois qu’ils occupent, au moins au début de leur vie active".
Par ailleurs, "la détention d’un baccalauréat tend à devenir la norme pour accéder aux emplois qualifiés, mais également aux emplois non qualifiés[...]. L'accès au marché du travail devient alors plus difficile pour les jeunes sans diplôme et les 'décrocheurs scolaires', les emplois d’exécution étant de plus en plus souvent occupés par des actifs diplômés." La note pointe alors le "rapport ambivalent" que les entreprises entretiennent avec les normes de qualification, "entre survalorisation et relativisation du diplôme".