Menu
Libération
Alimentation solidaire : tribune

Potagers urbains : nourrir la ville

Solutions solidairesdossier
En ces temps de dérèglement climatique, ces lieux permettent le recyclage des déchets organiques, favorisent les circuits courts et embellissent le paysage.
par Frédérique Basset, journaliste, autrice
publié le 6 décembre 2021 à 10h16

Les paysans nous ont nourris pendant des siècles. Ils représentaient encore 75 % des actifs dans les années 1900, il n’en reste plus que 1,5 %, qui portent désormais le triste nom d’exploitants agricoles. Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, et surtout la Seconde, la chimie s’est invitée dans les champs, polluant les sols, l’air, l’eau et les humains à coups d’engrais chimiques et de pesticides. Quant aux terres agricoles, elles sont de plus en plus victimes de l’artificialisation des sols : en dix ans, ce sont près de 600 000 hectares qui ont disparu en France (70 % de terres riches, souvent en zones périurbaines). Quand on sait qu’une région comme l’Ile-de-France dispose de seulement trois jours d’autonomie, sur qui devront compter les urbains pour se nourrir si, faute de pétrole, les denrées alimentaires ne peuvent plus être acheminées ?

Dans un rapport de 1996, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) l’affirmait déjà : «L’agriculture urbaine garantit un développement humain durable.» Cette agriculture a aujourd’hui le vent en poupe avec ses 800 millions «d’urbainculteurs» dans le monde, et s’inspire d’expériences qui ont marqué l’histoire, comme, entre autres, à Cuba. En 1989, le pays subissait à la fois les conséquences de l’effondrement du bloc soviétique et du durcissement du blocus américain. Dès 1991, une véritable révolution verte était en marche avec la création de jardins de haut rendement bio (organopónicos). Vingt ans plus tard, Cuba compte, sur 2 millions d’hectares, 500 000 organopónicos qui jouent un rôle primordial pour la sécurité alimentaire, l’économie locale et la préservation de l’environnement.

Espaces d’utopie

En ces temps de dérèglement climatique, les potagers urbains ne manquent pas d’atouts : ils améliorent le climat, permettent le recyclage des déchets organiques, favorisent les circuits courts – ce qui réduit les coûts de transport, et donc les gaz à effet de serre (un kilo de cerises importé par avion du Chili émet 10 kilos de CO2) – et embellissent le paysage. En cultivant un potager, on consomme en outre plus de légumes et peut-être moins de viande, dont les Français sont les plus gros consommateurs d’Europe. Une bonne nouvelle pour la planète, sachant que l’élevage intensif est responsable de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre.

«Gardien» et «jardin» partagent la même racine étymologique, alors n’est-il pas temps d’être des jardiniers gardiens de la Terre ? En ville, des jardiniers gardiens se sont donné rendez-vous dans les jardins partagés. Sortis de terre dans les années 1970 à New York, ces jardins ont franchi l’Atlantique en 1997 et essaimé partout dans l’Hexagone. Ilots de verdure collectifs gérés par des associations, ils poussent au milieu des tours, dans les cours des HLM, sur les toits ou dans des friches urbaines, et pratiquent une culture respectueuse de l’environnement tout en favorisant le lien social.

Parfois pas plus grands qu’un mouchoir de poche, leur impact dépasse celui du jardinage. Ce sont des «espaces autres», pour reprendre l’expression du philosophe Michel Foucault, des espaces d’utopie où l’on invente une autre façon de s’approprier la ville et de vivre ensemble. Certes, ces jardins ne prétendent pas nourrir les villes, mais ils y contribuent et sont à l’origine de nombreuses initiatives, comme ces fermes urbaines qui émergent aux périphéries des villes. Verra-t-on bientôt renaître des ceintures vertes autour des métropoles ?

Vers l’autonomie alimentaire, de Frédérique Basset, édition Rue de l’échiquier, 2012, (nouvelle édition poche 2021).
Reportage, portrait, sondage et tribunes... Retrouver samedi 11 décembre dans Libération notre supplément Alimentation solidaire.
Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique