Relocalisations : une tendance positive qui devrait se poursuivre

La tendance à la relocalisation, amorcée avant la crise covid, semble s'accélérer et s'inscrire dans le dur. Le baromètre annuel de l'Usine du Futur de Trendeo publié début décembre 2021 confirme ce mouvement, dû aux craintes de rupture d'approvisionnement et favorisé par les aides mobilisées dans le cadre du plan de relance.

Depuis septembre 2019, 115 relocalisations ont été enregistrées en France, 45 pour la seule année 2021. C'est ce qu'indique le baromètre annuel de l'Usine du Futur de Trendeo, publié début décembre 2021. "Il y avait déjà du mieux depuis 2016 dans l'industrie française, rappelle à Localtis David Cousquer, créateur et gérant de Trendeo. On peut dire qu'on revient à la normale et, sur certains indicateurs, on fait même mieux, notamment en matière d'ouvertures d'usines." 385 investissements liés à des projets Usines du Futur en France sont ainsi répertoriés par Trendeo, qui signale que les trois régions ayant le plus grand nombre de projets sont les Hauts-de-France, le Grand Est et l'Île-de-France (54 chacune). Parmi ces relocalisations récemment annoncées : la construction d'une usine pilote de la société nantaise Huddle Corp, spécialisée dans la fabrication d'aliments pour poissons, des efforts de modernisation et de relocalisation à hauteur d'un million d'euros pour le fabricant de cabines d'engins Buisard à Sablé-sur-Sarthe (72), avec une dizaine d'emplois à la clé, ou encore la relocalisation d'une partie de la production et l'agrandissement des locaux de la société bordelaise Cybertek, spécialisée dans la vente et la réparation de matériel informatique. À noter que le terme de "relocalisation" - au-delà de la réintégration sur le territoire français de productions réalisées à l'étranger - englobe aussi ces projets d'extension, et même des productions qui n'avaient jamais été présentes en France auparavant. La nouvelle dynamique se fait cela dit un peu moins ressentir au niveau des emplois. Plus de 31.740 emplois ont ainsi été délocalisés entre 2009 et 2021, et moins de 5.000 relocalisés dans le même temps. Le fait que les PME soient davantage concernées par cette tendance à la relocalisation explique en partie cet écart, les délocalisations ayant surtout été le fait de grands groupes.

La sécurisation des chaînes d'approvisionnement

"C'est la première fois depuis quarante ans qu'une telle dynamique se crée", se félicite cependant François Blouvac, responsable du programme Territoires d'industrie à la Banque des Territoires. Et certains paramètres laissent penser que la tendance sera durable, au premier rang desquels la nécessité pour les entreprises de sécuriser leurs approvisionnements. "Avant la crise, le made in France était surtout porté par les consommateurs, explique David Cousquer. La crise covid a fait prendre conscience aux entreprises qu'elles pouvaient avoir des difficultés d'approvisionnement et les amènent à réorganiser leurs chaînes de production en raccourcissant les distances notamment." L'étude de Trendeo montre ainsi que les entreprises ont tendance à diminuer la distance entre la décision d'investissement et le lieu de l'investissement. Un mouvement qui avait commencé avant la crise covid et qui s'est poursuivi en 2021. Cette distance s'est établie à 3.120 kilomètres à mi-2021. En 2020, elle a baissé de presque 5% dans le monde, montrant une régionalisation des investissements industriels mondiaux.

Pour François Blouvac, "l'interrogation que la crise a suscitée autour des chaînes d'approvisionnement est une tendance réelle". La Banque des Territoires est particulièrement investie sur le sujet, à travers l'élaboration de cartographies des chaînes d'approvisionnement pour chaque territoire, afin d'évaluer les potentiels de relocalisations. Des travaux ont notamment été lancés avec plusieurs régions, dont le Grand Est, l'Occitanie et les Hauts-de-France, qui permettent de montrer que c'est un levier important.

La réindustrialisation par des entreprises étrangères

Ce mouvement de relocalisation passera-t-il le cap de la fin des aides liées au plan de relance ? Et ces aides sont-elles toujours bien ciblées ? Elles ont parfois bénéficié à des entreprises étrangères concurrentes sur notre propre sol d'entreprises françaises, comme l'a récemment montré l'affaire Electrosteel - une entreprise indienne concurrente de Saint-Gobain PAM - qui a bénéficié d'une aide de 3,9 millions d'euros dans le cadre du plan de relance (voir notre article du 17 novembre 2021). "Il s'agit non seulement de réindustrialiser la France mais aussi d'assurer notre souveraineté industrielle. Aussi ne peut-on continuer à se refuser de tenir compte de la propriété des entreprises concernées", a ainsi fait valoir Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice CRCE (groupe communiste républicain citoyen et écologiste), le 2 décembre, interpellant le ministre de l'Économie sur ce sujet. Seulement il est juridiquement difficile de distinguer les entreprises françaises et étrangères pour l'octroi de ces aides, et ces groupes "contribuent aussi aux emplois indirects car pour un emploi direct il y a deux emplois indirects créés", explique David Cousquer. Même son de cloche pour François Blouvac, qui estime que l'urgence pour le moment est à la réindustrialisation de la France. "La priorité est de remettre de l'activité industrielle, affirme-t-il, la question de l'origine des capitaux est un autre sujet qu'on pourra se poser quand on aura suffisamment réindustrialisé".

Le plan de relance, un remède au manque de fonds propres

"Le plan de relance a permis de remédier au manque de fonds propres des entreprises, précise David Cousquer, les prêts garantis par l'État et autres subventions ont aussi joué, permettant aux industriels d'investir plus tôt que prévu. Mais comment le tissu économique va-t-il réagir en 2022 quand les aides vont s'estomper et qu'il faudra commencer à rembourser les prêts garantis par l'État ?" Pour François Blouvac, cela ne va pas empêcher les entreprises de trouver d'autres financeurs. Cet effet "starter" a favorisé l'accélération des investissements potentiels (achat de nouvelles machines, process, modernisation visant une meilleure efficacité énergétique, etc.). "Ce mouvement de fond n'est pas né d'hier, il y a quelques années déjà, la crise est venue le renforcer, assure-t-il, c'est assez net aujourd'hui". Certaines mesures d'accompagnement sont aussi prolongées. C'est notamment le cas du programme Territoires d'industrie, qui a été étendu jusqu'en 2026 avec une nouvelle feuille de route qui sera présentée début 2022. Ne représentant qu'1% des créations d'emplois industriels entre 2009 et 2019, les relocalisations, aussi symboliques soient-elles, ne sont qu'un des enjeux de la réindustrialisation.